L'arôme puissant du café qu’on prépare peut vous transporter dans une nanoseconde du café italien où vous êtes assis, à la cour de votre grand-mère à Tanjore. L'hypothèse traditionnelle selon laquelle le sens de l'odorat chez l'homme est médiocre par rapport à celui des animaux est constamment remise en cause par les scientifiques qui étudient le fonctionnement mystérieux du cerveau.

Dans son chef-d'œuvre exceptionnellement prolifique "À la recherche du temps perdu", l'écrivain et philosophe français du XXe siècle Marcel Proust s'est replongé dans son enfance, poussé par la nostalgie irrésistible de l'arôme des madeleines fraîchement sorties du four. Dès lors, on a vu une multitude de preuves scientifiques suggérant que les souvenirs sont de puissantes associations olfactives classées par le cerveau, beaucoup plus importantes que celles faites par les stimuli visuels ou sonores.

Les techniques de neuro-imagerie ont établi que nos systèmes olfactifs sont beaucoup plus fortement connectés à l'hippocampe, responsable de l'encodage des souvenirs dans le cerveau, que nos systèmes sensoriels, c'est-à-dire la vision, le toucher et le son. Contrairement au son, au toucher ou au goût, l'odorat contourne totalement le tableau d'information du cerveau, le thalamus, et se dirige directement vers le centre de la mémoire, l'hippocampe. Ce qui explique pourquoi les odeurs peuvent déclencher des souvenirs plus vifs et plus profonds que la vue ou le son. Les souvenirs sont inconsciemment classés dans notre cerveau dans une bibliothèque olfactive cataloguée par les odeurs auxquelles nous les associons. En fait, l'odorat aide même à micro-contextualiser nos souvenirs visuels, auditifs ou tactiles, qui peuvent alors être facilement rappelés, volontairement ou involontairement, en induisant l'odeur qui leur est associée.

Notre mémoire olfactive est extrêmement puissante. Elle peut nous transporter à des endroits lointains, nous relier à des personnes de notre passé ou de notre présent et nous aider à revivre des événements qui se sont produits à n'importe quel moment dans notre frise chronologique. D'une certaine manière, notre mémoire olfactive peut nous aider à voyager dans le temps. Les nourrissons qui pleurent se calment quand ils sentent un vêtement porté par leur mère, une astuce souvent utilisée par les baby-sitters. Au fur et à mesure que nous grandissons, notre conditionnement émousse nos facultés les plus primitives. Mais malgré tout, pensez à ce qui se passe lorsque vous croisez le parfum d'un ancien amant, une odeur qui vous rappelle votre boîte déjeuner de l'école, la rassurance chaleureuse de l'étreinte de votre mère, l'odeur poussiéreuse de moisi de la garde-robe à votre grand-mère, les bouffées stériles aux urgences d'un hôpital, les traînées de pain frais qui s'échappent de la boulangerie que vous aimiez autrefois, les notes apaisantes de citronnelle à votre spa favori........ À l’instar de Proust, chacun de ces déclencheurs olfactifs, ainsi qu’une multitude d'autres, peuvent nous emmener dans nos propres voyages autobiographiques et incroyablement riches.

De tels voyages servent à recalibrer notre baromètre émotionnel. Ils peuvent nous remonter le moral quand nous sommes au bout du rouleau. Ils peuvent nous ancrer lorsque nous nous sentons déchaînés, nous donner l’impression d’être connectés quand nous nous sentons seuls, nous inspirer de confiance quand nous ne sommes pas sûrs de nous-mêmes, nous propulser vers un objectif quand nous sommes découragés, et ainsi de suite. Nous ne pouvons jamais sous-estimer le rôle puissant que l'odorat peut jouer dans notre vie.

Covid 19 était un rappel brutal de ce fait. Les patients qui ont perdu leur odorat ont fait état d'un sentiment aigu de désorientation et d'un malaise émotionnel général. Il semble également avoir eu un impact négatif sur leur mémoire, ce qui prouve la relation mystérieusement vitale entre l'odorat et le processus cognitif d'encodage, de stockage et de récupération des souvenirs. Notre bien-être physique et émotionnel peut être influencé aussi bien positivement que négativement par des souvenirs liés à l'odeur. Une diminution de l'odorat est souvent liée à l'un des plusieurs problèmes de santé liés à la perte de mémoire.

Nous pouvons utiliser ces connaissances à notre avantage. Par exemple, puisque nous savons que la mémoire est renforcée par l'association olfactive, nous pouvons choisir de porter un certain parfum quand nous étudions ou préparons une présentation. Et finir par le porter pour cet examen ou présentation. En créant une association avec une certaine odeur dans notre esprit, nous pouvons réellement améliorer notre vie et celle des autres. Les souvenirs positifs réduisent le cortisol, l'hormone du stress dans notre corps et peuvent en effet augmenter le taux de l'hormone de bien-être, menant à un changement d'humeur ou même de comportement indésirable comme le tabagisme.

L'impact instantané d'une odeur ou d’un parfum particulier sur notre humeur et sur notre comportement est indéniable. Ce qui veut dire que nous pouvons non seulement être guidés sur la voie très sensorielle de souvenirs par ce que sent notre nez, mais nous pouvons aussi organiser les stimuli parfumés qui nous entourent pour orienter nos humeurs et nos comportements dans un sens particulier.